Des fortifs aux HLM: les marges de Paris

Photo © Rémi Yang

Construit de 1960 à 1973, le boulevard périphérique extérieur a disposé d’un emplacement tout trouvé: celui de la zone entourant l’ancienne enceinte d’Adolphe Thiers. Une ceinture à triple tour qui a durablement conditionné la morphologie de la frontière parisienne. Histoire des fortifs, de la zone, des HBM…

Erigée entre 1841 et 1844, durant la Monarchie de juillet, l’enceinte de Thiers devait protéger la capitale de l’envahisseur et contenir les velléités de Parisiens qui viendraient à se rebeller contre le pouvoir royal. A l’époque, le sujet fait débat, à la fois sur la nature des fortifications (enceinte continue ou forts détachés), mais aussi sur son coût, alors que le pays investit massivement dans les chemins de fer.

250 mètres de No man’s Land et 3 cordons

L’impact de cette enceinte sur la frontière Paris-Banlieue est déterminante car l’enceinte est bordée d’un fossé puis d’une zone non constructible de 250 mètres (la zone non ædificandi). Du côté du centre-ville, les fortifications sont doublées d’une rue militaire intérieure, qui donnera lieu plus tard aux boulevards des Maréchaux. Une rue intérieure elle-même doublée de la ligne de chemin de fer de la Petite ceinture. De quoi constituer un véritable cordon sanitaire autour de la capitale.

Photo © WCC Agence Rol BNF

Des villes absorbées par Paris

A l’occasion de cette construction, essentiellement située sur des terres agricoles et de maraîchage, la capitale englobe tout ou partie des villes de la première couronne (Montmartre, La Villette, Belleville, Charonne, Bercy, Ivry, Montrouge, Vaugirard, Auteuil, Passy et Batignolles-Monceau), allant au-delà de la précédente enceinte des fermiers généraux.

Un échec militaire total

De cette triple ceinture fortifiée, l’armée prussienne ne fera qu’une bouchée lors de la guerre de 1870, et réussira à occuper Paris. Pour anticiper un prochain confit, sera ensuite édifiée une nouvelle rangée de forts détachés en proche couronne. Pendant la Commune de Paris, en mars 1871 , les canons versaillais se heurtent, eux, aux fortifications entre Grenelle à Passy, attestant du danger qu’elles peuvent représenter pour le gouvernement en cas de soulèvement populaire, contrairement à ce qui était prévu…

Les zoniers

Avant même que les fortifications ne soient déclassées, la zone non aedificandi voit affluer dès la fin du 19ème siècle une population très pauvre, poussée par l’exode rural. Progressivement, cette ceinture de no man’s land se peuple de bidonvilles. Ces « zoniers » exercent différents métiers en marge de la capitale. Beaucoup sont chiffonniers. Ils habitent dans des baraques de fortune, construites à partir de matériaux récupérés, voire de roulottes. Régulièrement, des opérations d’expulsion sont menées mais les bidonvilles se reforment.

Photo © Gallica-BNF
Le photographe Eugène Atget (1857-1927), qui a immortalisé le Paris de la fin 19ème à l’avant première guerre mondiale, a documenté la vie dans la zone dans son Inventaire du vieux Paris. Voir la sélection de clichés mis en ligne par Gallica-BNF.

Un film tourné en 1928 par Georges Lacombe donne aussi à voir la vie dans la zone en racontant la journée d’un chiffonnier, avec notamment une impressionnante scène dans l’usine d’incinération où les biffins recyclent chaque centimètre de matière récupérable jusqu’à la dernière étape. Ce court métrage de 28 minutes est visionnable en intégralité sur le site Achives.org.

La galerie Lumière des Roses a collectionné des clichés de la zone, professionnels comme amateurs, pour rendre compte de la vie quotidienne dans ce quartier qui abrita jusqu’à 40 000 personnes. Ce travail a donné lieu à une exposition lors des Rencontres photographiques d’Arles 2019, dont le catalogue est toujours disponible. En savoir plus sur cette collection.

La fin de la zone

Après la première guerre mondiale, les fortifications sont déclassées et leur déconstruction démarre en 1919, jusqu’en 1929. Les expulsions s’accélèrent alors, plus ou moins indemnisées suite à la mobilisation des syndicats d’habitants comme la Ligue des zoniers. Les terrains de l’enceinte et de la zone non aedificandi reviennent à la ville de Paris qui doit reconvertir le site. A partir de 1940, les expulsions se font encore plus radicales mais les projets de transformation sont mis en pause en raison de la seconde guerre mondiale. Ci-dessous une étude de la ville, de 1943, faisant état des projets de mutation et du suivi des expulsions. A visionner en intégralité avec de nombreux panoramas et des textes d’époque, depuis le site des bibliothèques spécialisées de Paris.

Une ceinture de HLM

Avant même la fin de la zone, à la place des fortifications, la ville de Paris fait construire des HBM (habitations à bon marché qui deviendront ensuite les HLM, habitations à loyer modéré). A partir de 1912 en effet, une loi autorise les collectivités à construire des HBM, à condition de ne pas les gérer directement, permettant une augmentation significative de la production d’habitat pour les foyers les plus pauvres. Après la première guerre mondiale, alors que l’enceinte a été déclassifiée, la ville va construire massivement à la place des fortifications. Plus de 55 000 logements HBM sont construits à Paris entre 1926 et 1939, essentiellement sur cette ceinture. « La loi du 19 avril 1919 déclasse l’enceinte fortifiée, et précise les modalités d’urbanisation selon une double ceinture concentrique : sur l’ancienne enceinte, l’urbanisation prévoit 25 % de terrains affectés aux logements HBM ; sur l’ancienne « zone », la servitude « non aedificandi » est préservée et une ceinture verte doit être aménagée », détaille une étude réalisée par l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) sur la construction de cette ceinture de HBM. Cette étude détaille également l’architecture et les services communs de ces HBM, ainsi que leur typologie et organisation.

Photo © Apur
Carte des constructions HBM jusqu’en 1939, issue de l’étude de l’Apur et réalisée à partir de données des Archives de Paris, Paris Habitat, RIVP et ELOGIE. (En bleu les prototypes, en rouge la 1ère génération de HBM et en noir la 2ème génération de 1926 à 1939.

Sur la zone, perdurent les bidonvilles. La ceinture verte projetée initialement ne vit pas vraiment le jour. A la place, furent toutefois construits des équipements sportifs, un cimetière. La partie extérieure fut ensuite réquisitionnée pour accueillir le périphérique, une fois les boulevards des Maréchaux arrivés à saturation.

Une ceinture qui reste marquée socialement

Aujourd’hui encore, les logements sociaux parisiens restent concentrés le long du périph, et cette empreinte géographique se retrouve dans les indicateurs sociaux de ces quartiers. Alors que la ville de Paris concentre les plus hauts niveaux de revenus, certaines zones Iris (découpage Insee à petite échelle) de cette ceinture comptent un tiers seulement ménages imposables et les prestations sociales y représentent parfois plus de 15% du revenu disponible. Ces mêmes zones sont celles qui ont le rapport interdécile (rapport entre les 10% les moins fortunés et les 10% les plus fortunés) le plus faible de la capitale, ce qui veut dire que ces espaces les moins fortunés sont aussi les plus homogènes socialement. La proportion de personnes détentrices d’un diplôme du supérieur, elle, varie du simple au quintuple entre les zones de la bordure de Paris et le reste de la ville. Ainsi, entre le Boulevard Ney au nord du 18ème arrondissement et le Boulevard périphérique, environ un peu plus de 12% de la population est diplômée du supérieur, contre des proportions qui peuvent aller au delà de 60% à l’intérieur du boulevard des Maréchaux.

Photo © Leo Seux Tableau Mapbox Openstreet Map Insee
Proportion de la population n’ayant aucun diplôme supérieur au brevet
(Iconographie réalisée par Léo Seux à partir des données de l’Insee, de la plate-forme géographique Mapbox OpenStreetMap et de l’outil Tableau)

Désenclavement progressif mais toujours zone tampon

Coincé entre le boulevard intérieur et le périphérique extérieur, cet espace de HLM et d’équipements publics a souffert d’un enclavement qui s’atténue, lentement, au gré des nouveaux aménagements, comme à Porte d’Ivry. « Tout est désenclavé, les commerces ont ouvert, maintenant je fais 50 mètres pour aller faire mes courses alors qu’avant je devais faire des détours partout. Aujourd’hui il y a plus d’ouverture, plus de mixité, plus d’accès à l’extérieur », reconnaît Sonia, enseignante dans l’une des écoles du quartier, tout en estimant qu’il y a « un problème de surpopulation » et que les logements sociaux se multiplient sans nouvelles places dans les écoles. Céline, elle, n’habite pas Porte d’Ivry mais vient y travailler tous les jours. Employée à l’administration des services et équipements de la mairie de Paris, elle a été déplacée dans deux récentes tours d’open space, qu’elle qualifie de « deux gros blocs », son ancien bâtiment, au cœur du Marais, ayant été réhabilité il y a deux ans pour accueillir un centre d’activités luxueux et une piscine. Elle se plaint du peu d’espaces verts et des nuisances sonores du périph.

Article rédigé par :

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *