Recouvrir le périphérique: un peu, beaucoup, passionnément…

Photo © Bnp Paribas Real Estate / Jacques Ferrier Architectures / Chartier Dalix Architectes / SLA Paysagistes / Splann (Projet/Document non contractuel)

« Attendez… On est à Paris ici? », s’étonne Michel, 74 ans et natif des Lilas. Posé au-dessus du périph, le jardin Serge Gainsbourg offre une transition douce entre Paris et sa banlieue. Alors que ce boulevard autoroutier est vécu comme une fracture, sa couverture figure dans beaucoup de projets urbains. Certains rêvent même d’enfouir complètement cette frontière.

Ce matin, le jardin Serge Gainsbourg est presque désert. Quelques personnes le traversent d’un pas pressé pour se rendre au métro, d’autres profitent du soleil, comme Michel. «C’est un trait d’union entre Paris et Les Lilas», défend Dan Lert, adjoint au maire du XIXe arrondissement, chargé de l’environnement (EELV). Inauguré le 8 juillet 2010, le jardin Serge Gainsbourg a été aménagé sur une dalle au dessus du périphérique. Pour Rollande, lilasienne assise au bord du terrain de sport, c’est une réussite. «Le jardin est très agréable, on vient pour les enfants. On y oublie le périphérique.» Il faut dire que le bruit des voitures sous la dalle est quasiment inexistant. «Le jardin a permis la réduction de la pollution sonore», explique Dan Lert. La circulation très dense à porte des Lilas perturbe tout de même un peu la sérénité des lieux.

Déjà 7 tronçons couverts

Les trois premiers tronçons couverts ont été conçus dès la naissance du périph, à l’instar du tunnel qui passe sous le Parc des Princes, inauguré le 4 juin 1972, et des deux tunnels de 368 et 580 mètres qui passent sous le bois de Boulogne et son lac Supérieur.

Depuis, quatre autre segments ont suivi, formant des tunnels de plus de 300 mètres de long. Porte des Lilas, deux dalles ont été créées entre 2005 et 2006, donnant lieu à l’inauguration de parcs et de terrains de sport. Utilisant des ouvrages déjà présents, les projets consistent à couvrir les espaces entres les ponts existants.

C’est ce principe qui a été utilisé Porte de Vanves, entre les trois ponts. Au-dessus, deux dalles inutilisées ont fait l’objet d’un appel à projets d’Inventons la Métropole. Des logements pour étudiants et jeunes travailleurs, ainsi que des équipements sportifs sont programmés.

Projet Woodeum à la Porte Brancion

Entre les portes Maillot et d’Asnières encore, trois tunnels permettent à un stade, des jardins et de nombreux terrains de sport de prendre place.

Avant, après les couvertures

Sur les 35,5 km du périphérique parisien, 18% sont en viaduc ou pont, 20% en remblai, 60% en tranchée et 2% à niveau. Les sections déjà recouvertes représentent 7,3 km de la boucle dont 2,8 km de ponts et 4,5 km de couverture. 3 km l’étaient dès l’origine.

Densification et végétalisation

Ces dernières années, de nouveaux projets ont vu le jour, accélérés dans le cadre des appels à projets comme Réinventer Paris ou Inventons la métropole qui présentent la particularité d’imposer au lauréat l’autofinancement de la réalisation, invitant à concourir des groupements d’architectes, urbanistes et promoteurs. Au programme : densification pour équilibrer les budgets et végétalisation pour rendre la copie acceptable au regard de l’hostilité croissante des habitants envers le béton. Entre Porte Maillot et Porte de Ternes, dans les 16e et 17e arrondissements, deux projets illustrent cette tendance. Le premier, Mille Arbres, prévoit la construction d’un bâtiment-pont arboré avec une promenade parc.

De l’autre coté de l’avenue de la Porte de Ternes, Ville Multi-strates projette des bâtiments à usage mixte ainsi que des passages publics.

Photo © Compagnie de Phalsbourg
Le projet des Mille Arbres, développé par la Compagnie de Phalsbourg, accueillera immeubles d’habitation, bureaux, hôtel, restaurants, espace pour les enfants et parc.
Photo © Bnp Paribas Real Estate / Jacques Ferrier Architectures / Chartier Dalix Architectes / SLA Paysagistes / Splann
Le projet Ville Multi-strates, propose d’installer logements et bureaux au dessus d’un jardin ouvert à tous et sur l’espace public. Reliées entre elles, les toitures créent une ferme urbaine.

A Porte d’Aubervilliers, l’aménagement de la ZAC secteur Gare des Mines – Fillettes, qui accueillera l’Arena 2 en vue des Jeux olympiques de 2024, prévoit aussi un immeuble pont de 20 000 m2 aux fonctions mixtes pour faciliter la traversée du périphérique. Et porte de Vincennes, c’est un gymnase-pont de 2500 m2 qui doit voir le jour dans le cadre de la ZAC.

Carte issue du document Focus sur le boulevard périphérique de l’IAU Ile-de-France publiée en janvier 2019

Des centaines de millions d’euros en jeu

A la clef : des investissements colossaux. Mille Arbres représente ainsi près d’un demi milliard d’euros d’investissement privé. Pour la mairie, la cession du foncier représente une ressource de 167 millions d’euros. A une échelle nettement plus petite, Ville multi-strates devrait coûter 65,1 millions d’euros

Sur un autre modèle, les projets de couverture ayant abouti dans le courant des années 2000 donnent aussi une idée des montants. A porte des Lilas, les 360 mètres de dalle ont coûté 83 millions d’euros. Le secteur de la Porte de Vanves et ses 260 mètres (plus de 10400 m² à couvrir) ont eux coûté 55 millions d’euros. Ces chiffres ne comprennent que la partie couverture des travaux et non les infrastructures ou bâtiments qui peuvent s’y implanter.

Jusqu’où ?

Faut-il aller plus loin ? Tout couvrir ? C’était la position de Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate LR aux municipales de 2014, qui évaluait l’addition à 10,4 milliards d’euros pour une couverture totale entre les portes. Au-delà du coût, la faisabilité technique d’une telle couverture est complexe: certaines parties ne sont pas en tranchée. En outre, la création de tunnels s’assortit aujourd’hui de fortes contraintes de sécurité à la suite de l’incendie du tunnel du Mont Blanc, il y a 20 ans, qui a fait 39 morts.

Pour quoi faire ?

Retour à Porte de Lilas, où la création d’un jardin au dessus des huit files du périphérique passant quelques mètres plus bas rappelle que ce lieu reste un entre deux, dont l’appropriation par les riverains est loin d’être évidente. « Le projet était de construire un lien entre le périphérique et les Lilas. C’était un no man’s land avant. Il reste du travail mais avoir un jardin par dessus le périphérique, c’est magique », se félicite Aurélie Solans, déléguée du maire pour le Conseil de quartier des Lilas. Elle reconnaît néanmoins que dans le quartier, le jardin est un succès en demi-teinte, pas très fréquenté par les parisiens. Du coup, la mairie essaie de faire venir les habitants du coin en y organisant le conseil de quartier. « Le conseil du quartier, c’est comme une fête. Cela marche très bien, et c’est porté par les habitants », assure l’élue qui admet aussi que l’espace manque d’aménagements pour les enfants. « Les habitants ont déposé un projet au budget participatif pour plus de jeux. Il faut que les gens se réapproprient le jardin ».

La couverture n’empêche pas la pollution

Dans le rapport de la Mission d’information et d’évaluation (Mie) effectuée par des élus de la ville de Paris en auditionnant un certain nombre de personnalités et d’élus de banlieue sur le devenir du périphérique, la ville des Lilas se réjouit « d’avoir retissé avec Paris un tissu urbanistique » et note « qu’il est relativement facile de franchir le périphérique à pied ou à vélo » mais relève aussi que « de part et d’autre de la couverture, les émanations de dioxyde d’azote et de particules fines sont particulièrement importantes » et conclut que « la couverture n’est pas une solution en tant que telle et ne fait que différer la diffusion dans l’atmosphère. » De même à Malakoff où la ville regrette l’espace laissé en jachère (voir un peu plus haut le projet en cours de résidence pour étudiants) et souligne également les nuisances qui se concentrent en sortie de couverture.

Philippe Vasset, géographe audité par la Mie, reproche la tendance à couvrir de plus en plus le périphérique. « C’est une évolution que je trouve terrifiante, car plus on couvre le périphérique, plus on transforme, on isole la ville des circulations qui la constituent. (…) J’ai le sentiment très net, (…) que c’est créer une ville schizophrène, c’est-à-dire qu’on généralise le modèle de Châtelet-les-Halles, où on a des souterrains où les personnes circulent dans un espace clos, mais qui n’ont aucun lien avec ce qu’il y a au-dessus, le reste de la ville ; on est dans un cocon. »

A Madrid, un pan complet du périph recouvert
À Madrid, la M-30, l’autoroute urbaine circulaire compte déjà trois tunnels de plus d’un kilomètre, le projet d’un quatrième plus long encore est à l’arrêt. Sur les 32,5 kilomètres, c’est un peu moins du tiers de cette voie entourant la capitale espagnole qui est aujourd’hui enterré, en faisant le plus grand réseau de tunnels urbains d’Europe.
C’est en 2003 que le projet a été lancé en collaboration entre la mairie de Madrid et le Ministère de l’Équipement espagnol, une collaboration permettant à la mairie de lancer des appels d’offre. En février 2004, la mairie obtient l’accord du Ministère de l’Équipement pour la cession du réseau de la M-30 lui permettant de poursuivre son projet d’aménagement du réseau routier de la ville. En tout, ce sont 42 894 mètres de tunnels qui sont creusés comprenant les voies d’accès et les deux sens de circulation sur 10 sites différents, majoritairement à l’ouest et au sud de la ville. La quasi intégralité est faite en tranchée couverte, mais un tronçon d’un peu plus de quatre kilomètres est réalisé avec des tunneliers, celui du by-pass sud. Le projet de by-pass nord, un tunnel de 9 kilomètres a lui été abandonné, chiffré à lui seul à un peu plus d’un milliard et demi. Le projet réalisé a pour sa part coûté un peu plus de 3 milliards d’euros, financés à 20% en capitaux propres et 80% par endettement.
La partie la plus emblématique se situe autour du Rio Manzanares, avec la création en surface d’un couloir de verdure de 110 hectares où se croisent piétons et cyclistes.

Photo © La Citta Vita
Voie verte au-dessus du périph de Madrid
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Commentaires

  • C’est un réseau express vélo qu’il faudrait sur cette couverture.
    https://mobile.twitter.com/veloidf

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  • Bien sûr qu’il faudrait couvrir le périphérique partout où c’est possible !
    Bien sûr qu’il faudrait végétaliser les dalles ainsi créées et y aménager des jardins, des sentiers piétons, des pistes cyclables, des terrains de jeux et de sport, et même des voies d’autobus…mais pas y construire des grands immeubles !
    L’enjeu est multiple (esthétique, social, sanitaire, touristique…) et vaut le prix que cela coûtera. Il y a des dépenses qui constituent des investissements.
    On pourrait d’ailleurs envisager la même idée le long de la Seine, circulation automobile au niveau zéro et promenades plantées aux niveaux un et deux, afin de redonner de l’air aux habitants et commerçants des quais actuellement étouffés par la suppression de la circulation automobile sur les voies sur berges.
    Quant à piétonniser les quartiers historiques du centre de Paris comme le propose Anne Hidalgo, c’est ce qu’a fait l’Italie il y a des décennies et on ne comprend pas que cela n’ait pas encore été fait à Paris !

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  • bonjour
    j’habite saint mandé proche du périph et si n’ y avait pas le mur au sortir du talus du périph mais le décor de verdure que je vois sur les maquettes
    je trouverais un réel changement dans beaucoup de domaines : nos fenêtres en double vitrage, entourage blanc, sont noir, les voitures dans les rues,
    idem sans parler de notre santé !!!!!!!
    Alors si ça pouvait se réaliser , il n’ y a pas d’ age pour croire au père noel mais malheureusement j’ai déjà 76 ans aujourd’hui alors j’espère encore
    respectueuses salutations

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