Frontière entre Paris et sa banlieue mais axe de circulation stratégique, le périph fait l’objet de bien des projections d’évolution pour continuer à construire un Grand Paris respirable. Faut-il le détruire, le couvrir, l’aménager, le verdir ? Le point sur les réflexions en cours.
Achevé en 1973 à l’époque du tout automobile, le périphérique parisien accueille chaque jour 260 000 véhicules, représentant 11% du trafic automobile intra-muros. Axe de circulation incontournable, c’est aussi l’emblème de la frontière entre Paris et sa banlieue. Alors que la majorité de l’agglomération parisienne vit désormais au-delà du périph, penser le Grand Paris ne peut se dispenser de projeter une évolution de cette frontière en composant entre contraintes, envies et moyens financiers. Les propositions n’ont pas manqué ces dernières années, sans être toujours réalistes. Le rapport de près de 300 pages de la Mission d’information et d’évaluation (Mie) du Conseil de Paris, assorti de 40 propositions, propose une feuille de route. Les quatre équipes d’architectes, urbanistes ou experts de la mobilité qui ont planché sur le futur des routes du Grand Paris pour l’ensemble des collectivités de la région et l’État offrent aussi de nouvelles perspectives, en élargissant la problématique aux radiales, dont le trafic induit une bonne partie de celui du périphérique.
Couvrir le périphérique ?
Recouvrir le périphérique pour effacer sa trace, voilà l’une des idées qui revient régulièrement dans le débat, notamment au moment des municipales. D’ores et déjà, un tiers de la partie située en tranchée est recouverte et de nouveaux projets sont en cours. Cette option n’est toutefois pas envisageable partout. D’abord, seule la moitié du boulevard est construite en tranchée. Ensuite, les coûts sont très importants, en raison notamment des nouvelles normes de sécurité imposées après l’accident du Mont Blanc. Au-delà des considérations technico-financières, la couverture ne résout pas tous les problèmes de continuité urbaine et ne constitue pas une alchimie miracle, réplicable partout.
Privilégier les circulations, les liens entre quartiers
Dans son rapport, la Mie invite plutôt à penser en termes de circulation des usagers et maillage entre les quartiers plutôt qu’en solutions systématiques comme la couverture ou les rangées d’immeubles. Un travail de réseau qui s’illustre notamment dans la Zac Claude Bernard du 19ème qui a multiplié les passages et franchissements, dont celui du périph grâce à une passerelle, ou encore le projet Paris Ivry qui a imaginé des espaces sous le boulevard.
Des portes aux places
Une idée symbolique émerge en revanche pour gérer les portes, celle de les transformer en vraies places qui ne soient pas qu’un espace de transit un peu pénible. Le groupe PPCI propose même de créer un concours Réinventons nos places.
Végétaliser à tous les étages
Alors que le changement climatique rend critique la lutte contre les îlots de chaleur en troquant là où l’on peut le béton contre un peu de nature, le verdissement du périphérique s’est imposé naturellement dans les priorités. Et tous les projets en cours intègrent un volet « végétalisation », que ce soit en pleine terre comme la forêt linéaire (dans la Zac Claude Bernard) plantée le long des talus du périphérique, ou dans les constructions comme le projet Mille arbres porte Maillot. Sur le boulevard périphérique même, une des propositions de la Mie consiste à planter les axes non utilisés dans le cadre d’un passage à trois voies de chaque côté.
Boulevard urbain ?
Parmi les hypothèses les plus radicales : celle de la destruction du périphérique. « L’idée est simple, c’est de se débarrasser de cette autoroute urbaine de deux fois quatre voies à cinq kilomètres du centre qui est à la fois esthétiquement très laide, très polluante et qui coupe le Grand Paris en deux », défend par exemple Gaspard Gantzer, l’un des candidats à la mairie de Paris, qui souhaite remplacer 300 des 600 ha de ce cordon par des espaces verts, logements et équipements publics, et s’est donné pour objectif 2038, le temps d’organiser une concertation de trois ans avec les communes voisines et un référendum auprès des habitants du Grand Paris. « Il y a beaucoup d’habitations qui subissent la pollution sonore et atmosphérique du périphérique. Nous, on veut en faire la zone la plus attractive de Paris », motive l’ancien conseiller de François Hollande.
Sans être aussi radicales, les propositions de la Mie invitent à transformer progressivement cette autoroute périphérique en boulevard urbain, en commençant par réduire le nombre de voies, passant de 2 x 4 à 2 x 3, et en limitant la vitesse à 50 km/ heure. Auditionné par la Mie, Paul Lecroart, urbaniste à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile-de-France (IAU-IDF), explique en effet que le trafic automobile est directement induit par le nombre de routes disponibles, indépendamment du nombre d’habitants de l’agglomération, et de citer l’exemple de celle de Londres qui compte 13 millions d’habitants contre 10 millions à Paris, mais dispose de moins de voirie, les habitants s’étant à l’époque mobilisés contre les projets de construction de quatre rocades. « Nous avons un peu moins de 550 km de voirie rapide côté Paris et l’équivalent à Londres est de presque 400 km. Il y a à peu près 100 km de moins dans la grande zone agglomérée à l’intérieur de la Francilienne. La conséquence de cela est que les niveaux de trafic sont à peu près deux fois plus faibles à Londres qu’à Paris, c’est-à-dire que là où à Paris, nous avons fréquemment des trafics de l’ordre de 250 000 sur nos grandes voiries dans le coeur de l’agglomération (là où nous avons les plus grandes densités d’habitants, notamment sur l’A4, A1, A6 et le périphérique), à Londres, nous ne trouvons jamais ces niveaux-là », détaille l’urbaniste.
Concernant l’impact des 50 km/h sur la pollution, Fouad Awada, directeur général de l’IAU-IDF, prévient en revanche que les moteurs thermiques polluent davantage en-dessous de cette vitesse. « A 70 km/h, c’est génial, c’est là que nous polluons le moins. En revanche, dès que nous descendons en-dessous de 50 km/h, on commence à polluer plus et dès que l’on monte au-dessus de 80 à 90 km/h, on pollue aussi. »
Le périph en chiffres
Périmètre : 35 km
Hauteur : au niveau du sol sur 10 % seulement de son parcours, en élévation, c’est-à-dire au-dessus des territoires riverains, sur 40 % et en tranchée ouverte ou couverte sur 50 %.
Portes : 38 portes d’accès au périphérique, dont 6 échangeurs autoroutiers, avec en moyenne une entrée tous les 900 mètres.
Fréquentation : 1,1 million de déplacements quotidiens, soit 35 à 40% du trafic parisien.
Distance moyenne parcourue sur le périphérique : 7,5 km
Pour aller où ? 50% entre Paris et la banlieue, 45% de banlieue à banlieue et 5% de Paris à Paris.
Types de véhicules : 87% de véhicules légers, 10% de deux roues et 3% de poids lourds.
Taux d’occupation par voiture: 1,05 personne aux heures de pointe
Source : Rapport de la Mie (Mission d’information et d’évaluation mise en place par le Conseil de Paris)
Un projet qui ne peut être pensé sans les radiales
Alors qu’autoroutes à quatre voies et nationales convergent vers le périphérique, y réduire les voies et la vitesse aura un impact immédiat sur leur trafic. Inclure les radiales fait donc partie des données du problème. « Personne ne transformera le périphérique sans se poser la question des autoroutes. Personne ne transformera les autoroutes sans se poser la question des voies décalées des autoroutes qui sont les axes dans lesquels la plupart des Parisiens fonctionnent actuellement », pose Jean-Yves Le Bouillonnec, président du Forum métropolitain du Grand Paris.
Pacifier l’ensemble du réseau routier du Grand Paris
Le Forum métropolitain du Grand Paris, syndicat mixte ouvert qui réunit des élus de Paris et sa banlieue pour travailler ensemble sur les grandes problématiques de la métropole, a lui aussi pris le sujet à bras le corps en lançant début 2018 une consultation sur le devenir des routes du Grand Paris, incluant les autoroutes, le périphérique et les voies rapides. Après appel à projet, quatre équipes (Atelier des mobilités, Collectif Holos, New Deal et Shared Utility Networks) ont été sélectionnées pour proposer une projection de la métropole en 2030 et 2050. Leurs travaux sont actuellement présentés sous forme d’exposition itinérante jusqu’à la mi-octobre. (Voir le calendrier de l’exposition) Dans des modalités différentes, chaque équipe rejoint les propositions de la Mie de diminuer la vitesse et le nombre de voies sur le périph en s’attaquant plus globalement à l’ensemble des axes routiers du Grand Paris. Chacune des propositions invite à développer massivement les voies de transports collectifs en site propre, les voies vélo et dessinent des niveaux relais entre les axes de circulation rapide et le réseau des derniers kilomètres dans la zone dense
L’atelier des mobilités repense la logistique globale
L’Atelier des mobilités propose de créer un réseau NOÉ (nombre d’occupants élevé) de 1000 km réservé aux transports collectifs et partagés sur 62% du réseau magistral. Revêtues de couleur claire pour lutter contre la chaleur restituées, ces voies seraient créées grâce à une limitation de la vitesse (50 km/h sur le périphérique, 70 km/h dans la zone dense, 90 km/h en seconde couronne jusqu’à la Francilienne) rendant possible le rétrécissement des autres voies. Y seraient associées des stations servicielles dans l’esprit des hubs de transports publics d’aujourd’hui avec commerces et services. Pensant la logistique de façon globale, l’équipe envisage à terme d’interdire l’accès de la zone dense aux camions non propres ou insuffisamment remplis, en créant des plate-formes NCE (nombre de colis élevés) où des livreurs en vélo-cargo prendraient le relais. Le périphérique, lui, serait progressivement réduit pour végétaliser des voies, et à l’horizon 20250, il serait entièrement recouvert pour la partie en tranchée.
Télécharger la synthèse des travaux de l’Atelier des mobilités
Collectif Holos: des autoroutes ou boulevards arborés
Le Collectif Holos propose aussi de réduire la vitesse à 50 km/h sur le périphérique et de dédier des voies aux cyclistes et à la végétalisation. Le collectif s’est aussi penché sur les radiales qui relient l’A86 et la Francilienne (A104), proposant d’y réduire la vitesse à 70 km/h avec des voies réservées aux bus et l’implantation de pôles d’échanges. A l’intérieur de l’A86, ces radiales deviendraient carrément des chaussées communales avec des bandes cyclables de 3,5 m et des voies de bus en site propre. Les portes du périph se mueraient en « places traversantes ». (voir image de une, rue des Fillettes)
Télécharger la synthèse des travaux du collectif Holos
New Deal : doper les réseaux de bus
L’équipe New Deal s’attaque elle aussi au périphérique en divisant ses voies par deux pour transformer celles qui sont les plus proches de Paris en promenades arborées. Une partie des voies restantes serait elle-même dédiée aux transports collectifs. Le périph serait rebaptisé Grand Boulevard Métropolitain. Au-delà de cet axe, l’équipe envisage de dédier une voie aux transports collectifs sur toutes les voies rapides, en parallèle du déploiement massif de lignes de bus (200 nouvelles lignes) pour remplacer la voiture individuelle. Les futures gares du Grand Paris Express joueraient un rôle de hub stratégique dans ce nouveau maillage. Sur le périph, New Deal souhaite réenchanter certaines portes aujourd’hui synonymes d’enfer automobile, proposant par exemple de créer une serre au-dessus du boulevard à la sortie du tunnel où débouche l’A6A.
Télécharger la synthèse des travaux de l’équipe New Deal
SUN : le Grand Paris à l’heure des drones et des voitures autonomes
L’équipe Shared Utility Networks (Sun) se projette à l’époque des voitures intelligentes, autonomes, et veut adapter le réseau à cette nouvelle donne en imaginant par exemple des nouveaux modes de transport comme l’ART (Autonomous Rail Transit), sorte de bus-tram-train composés de nombreux modules capables de se disperser pour desservir le tissus urbain diffus. Sun anticipe aussi le déploiement des robots, de la livraison par drone et à la place de l’intelligence artificielle dans la ville. Comme les trois autres équipes, Sun propose de réduire la vitesse en passant à 50 km/h à l’intérieur de l’A86 pendant les heures de pointe et à 70 km/h au-delà. De même, elle prévoit de supprimer drastiquement le nombre de voies automobiles d’ici à 2050 (50% à l’intérieur de l’A86 et 25% au-delà) pour créer à la fois des « corridors de biodiversité » et des voies cyclables qui seraient posées sur des « conteneurs modulables » abritant des infrastructures de réseau haut débit, de stockage de données et encore d’énergie. Sur ce sujet, Sun souhaite utiliser le no man’s land de 100 mètre en bordure d’autoroute pour installer des panneaux solaires. Sun calcule que ces 160 km² d’espaces libres généreraient ainsi près de 20 000 GWh/an, soit un quart de la consommation d’électricité en France.
Télécharger la synthèse des travaux de l’équipe Sun
Quelle gouvernance ?
L’imbrication étroite entre le périphérique et les autres voies rapides arrivant de toutes les villes extérieures impose non seulement une vision d’ensemble mais aussi une gouvernance partagée entre les tous les acteurs concernés : Paris et les villes de banlieue, l’Etat pour les autoroutes, les Conseils départementaux pour les départementales, le Conseil régional pour les transports publics, la Métropole du Grand Paris, les territoires… «Agir en disant : «je réduis d’une voie le périphérique puisqu’une action vient d’être entreprise sur les autoroutes radiales concomitante de quelque chose qui vient d’être fait en banlieue», pose la question de savoir qui va gérer cela. Comment s’assurer que cette entente cordiale puisse durer le temps qu’il faut pour ces chantiers ? (…) Et combien cela coûtera-t-il et qui paiera ? Si c’est Paris et les riverains de la toute proche banlieue qui sont demandeurs, qui va payer les aménagements de l’A86 (…) ? Qui va payer les parkings-relais ? Qui va payer les transports d’accompagnement, etc. ? (…) Ces questions ne peuvent pas ne pas être posées», rappelle Fouad Awada dans le rapport de la Mie, s’inquiétant des positions chacun pour soi qui prévalent actuellement, en citant les zones 30 qui se multiplient en ville et rejettent le trafic sur les autoroutes. Dans ses préconisations, la Mie propose en préambule « de créer une structure de coopération, de pilotage et, le cas échéant, de financement qui permettra un dialogue régulier entre les partenaires publics et les communes concernées ».
Télécharger le rapport de la Mission d’information et d’évaluation de la ville de Paris
Pas encore de commentaires.