Apparus à partir du moyen-âge sous l’impulsion de religieux mettant en actes la charité catholique, les hôpitaux parisiens ont d’abord eu une vocation d’accueil des plus fragiles, et de santé publique pour éviter la propagation de maladies contagieuses, avant de devenir des lieux spécifiquement dédiés aux soins et à la médecine. Bref retour sur mille ans d’histoire.
Qu’il s’agisse de l’Hôtel Dieu, créé (dès le 7ème ou 9ème siècle selon les historiens) à côté de Notre-Dame de Paris, de l’hôpital Sainte Catherine, ancien hôpital construit à côté de l’église Sainte Opportune ou encore de l’enclos de Saint-Lazare qui abrita une léproserie dès le douzième siècle près de la rue du Paradis, les premier hôpitaux parisiens furent tenus par des communautés religieuses et financés par la charité publique – même s’ils sont parfois nés de l’initiative de laïcs comme l’hôpital Saint Esprit en grève, ou du roi comme l’hôpital des Quinze-vingt (d’abord situé rue Saint Honoré) créé par Saint-Louis. Y sont accueillis les plus fragiles, personnes âgées, enfants trouvés, malades indigents…
Enfermer les pauvres
A mesure que la population croît et que les villes se développent, des populations rurales pauvres viennent y tenter leur chance, contribuant à la prospérité des centres urbains mais aussi à ses poches d’habitants précaires. C’est dans ce contexte que François 1er crée le Grand bureau des pauvres en 1544, à la fois pour aider les plus démunis mais aussi les forcer à travailler. Il dispose de pouvoirs de police mais a aussi d’une fonction médicale avec deux maisons hospitalières : la Trinité pour les enfants et l’hospice des Petites Maisons pour les malades aliénés, vénériens ou teigneux. Il est aussi en charge des secours à domicile (aide sociale). Cela n’empêche pas la pauvreté de perdurer et les cours des miracles de se développer, au nombre d’une douzaine dans la capitale.
Un siècle plus tard, le 27 avril 1656, Louis XIV prend un édit encore plus drastique et crée l’Hôpital général qui ambitionne cette fois de supprimer la pauvreté en enfermant les indigents et vagabonds dans de grands hospices. Cette institution dépend à la fois de l’église et du civil et est placée sous l’autorité de l’archevêque de Paris, le procureur général du Parlement, le lieutenant de Police et le prévôt des marchands. Elle gère progressivement une dizaine d’établissements : la Salpêtrière (pour les femmes), Bicêtre (pour les hommes), la Pitié (les enfants), l’hôtel Scipion (femmes sur le point ou venant d’accoucher), l’hôpital du Saint-Esprit, la maison de Sainte Pélagie, l’hospice des Enfants Rouges, le Mont de Piété, les maisons des Enfants Trouvés du faubourg Saint-Antoine, de la rue Notre-Dame et de Vaugirard et la Savonnerie de Chaillot. Les malades sont envoyés à l’Hôtel dieu mais des établissements comme la Salpêtrière développent aussi une dimension médicale, notamment la création d’infirmeries pour limiter la saturation de l’Hôtel dieu. Le financement de cette organisation passe par un impôt communal pour les secours à domicile puis d’une taxe sur les billets de spectacle pour le traitement des pauvres. Cette politique d’emprisonnement des indigents, que le philosophe Michel Foucault qualifiera plus tard de « Grand enfermement », se poursuit jusqu’à la révolution française.
Naissance d’une institution centrale, spécifique à la capitale
Au niveau national, les hôpitaux sont d’abord nationalisés avant d’être municipalisés, notamment pour des raisons financières. Une gouvernance qui perdure aujourd’hui avec des conseils de surveillance des centres hospitaliers présidés par les maires. Les secours à domicile (aide sociale) sont pour leur part transférés à des bureaux de bienfaisance communaux (ancêtres des CCAS – Centres communaux d’action sociale).
A Paris, qui concentre une forte population dans ses hospices, lesquels se trouvent dans une situation financière critique, est créé le Conseil général des hospices civils en 1801, pendant le Consulat. Il centralise les dispositifs d’assistance de la capitale, de la gestion d’hospices et hôpitaux à l’assistance à domicile. Cette institution, qui durera jusqu’à la révolution de 1848, va voir progressivement se développer la place de la médecine en commençant par professionnaliser ses ressources en créant un concours d’internat et d’externat.
Sur la création et l’apport du Conseil général des hospices (CGH), lire la thèse d’Antoine Ermakoff: « Le Conseil général des hospices civils de Paris: Science d’administration des hôpitaux et médecine clinique (1801-1832)« .
Le CGH contribue aussi à la création de plusieurs établissements, l’agrandissement d’établissements existants, la spécialisation de certains hôpitaux ou encore l’amélioration des conditions sanitaires et de confort avec notamment la disparition des lits à plusieurs patients!
En 1849, naît l’Administration générale de l’assistance publique de Paris, désormais placée sous la gouvernance d’un directeur au lieu d’un conseil, assisté d’un conseil de surveillance consultatif présidé par le préfet. A cette date, l’institution comprend déjà 27 structures hospitalières (16 hôpitaux et 11 hospices) d’une capacité de 6500 lits, et emploie 200 internes. Le rôle de cette administration est toujours sanitaire et social, en charge des soins à domicile, des enfants orphelins ou confiés à l’assistance publique, pour qui sont notamment créées des écoles professionnalisantes, des vieillards et indigents (hospices de vieillesse), et des soins médicaux, avec une distinction croissante entre les hospices à vocation sociale et les hôpitaux à vocation médicale.
De plus en plus de malades
En 1893, la III ème république instaure un service public d’assistance médicale gratuite pour les personnes sans ressource, étendu à partir de 1905 aux personnes âgées, aux incurables, aux familles nombreuses et aux femmes enceintes. Cette mesure contribue à accroître l’affluence des patients. Les établissements de l’Assistance publique resteront néanmoins majoritairement fréquentés par les populations les plus précaires et fragiles pendant encore longtemps. « Les chambres de malades de moins de huit lits sont en 1938 la rarissime exception même dans les hôpitaux récents. (…) Il ne vient pas en 1938 à ridée des parisiens de condition aisée de se faire soigner à l’hôpital avec les ouvriers, les employés et les domestiques. La demande n’existe pas », explique Robert Vial dans son ouvrage « Les hôpitaux de Paris pendant l’occupation ». C’est à partir de 1941, tous les patients seront admis à l’hôpital. « Même si les indigents et les bénéficiaires des lois d’aide sociale restent prioritaires, l’admission des malades payants est désormais possible », indiquent Marc Dupont et Françoise Salaün Ramalho dans leur Que sais-je sur l’histoire de l’AP-HP.
Technicisation, professionnalisation
De nouveaux hôpitaux sont construits, dans une architecture hygiéniste en pavillons séparés. Alors que les hôpitaux, essentiellement tenus par des soeurs, se laïcisent, la formation des personnels hors médecins s’organise également. Une école d’infirmières voit le jour à la Salpêtrière en 1907. Les premiers laboratoires de biologie voient le jour à la fin du 19ème, la radiothérapie prend ses quartiers à l’hôpital Saint-Antoine en 1906.
Pour plus de précisions sur cette période, lire le Que sais-je L’Assistance publique Hôpitaux de Paris, de Marc Dupont et Françoise Salaün Ramalho, aux Presses universitaires de France (2010).
Guerre 14-18 : un afflux massif de blessés
Pendant la Première guerre mondiale, les hôpitaux militaires sont débordés et l’Assistance publique doit mettre à disposition jusqu’à 4 500 lits de ses lits pour accueillir les blessés qui reviennent du front, par vague particulièrement importante lors des batailles les plus violentes comme celles de Champagne et de Verdun. Le personnel manque. Un fonctionnement de crise qui contribue aussi aux progrès médicaux, à des changements d’organisation. A la fin de la guerre, la grippe espagnole donne le coup de grâce. 17 000 personnes affaiblies et terrassées par l’épidémie affluent dans les hôpitaux parisiens entre le 25 septembre et le 15 novembre 1918…
Sur cette période de guerre dans les hôpitaux parisiens, lire : « L’AP, la guerre. L’Assistance publique dans la Grande Guerre », de Marie Barthélemy, Patrice Guérin, Romain Tardy aux Archives de l’AP-HP
Soins, recherche, enseignement : le nouveau triptyque
Tout au long du 20ème siècle, les progrès de la médecine s’enchaînent dans tous les domaines, du traitement infectieux avec l’apparition des sulfamides et des antibiotiques dans les années 1935 – 1940. La recherche s’installe à l’hôpital avec sept premiers centres créés dès 1955. Un mouvement qui va s’institutionnaliser avec la réforme Debré en 1958 qui donne naissance aux CHU (Centre hospitalo-universitaires) qui portent à la fois l’enseignement, la recherche et les soins.
L’aide sociale déléguée aux villes et départements
Dans la lignée de cette réforme, les années 1960 voient aussi la partie aide sociale se détacher de l’Assistance publique qui devient essentiellement dédiée aux soins hospitaliers médicaux. L’aide médicale, l’aide sociale, l’aide à l’enfance sont transférés à la ville de Paris et au département de la Seine (divisé à la fin de la décennie en plusieurs départements de Paris et la petite couronne). A l’occasion de cette séparation du sanitaire et du social, actée avec la loi hospitalière de 1970, plusieurs établissements médico-sociaux comme les maisons de retraite sortent du giron de l’AP.
De nouveaux hôpitaux en banlieue
Alors que le rapport de population s’inverse entre Paris et sa banlieue, laquelle se densifie et s’étend, de nouveaux hôpitaux sont construits à l’extérieur de la capitale tout au long des années 1960 avec Charles-Richet à Villiers le Bel, René-Muret à Sevran, Dupuytren à Draveil, Henri Mondor à Créteil , Ambroise Paré à Boulogne, Antoine Béclère à Clamart, Louis Mourier à Colombes, Jean Verdier à Bondy.. En termes d’architecture, le temps n’est plus aux pavillons bien séparés (conçus à l’ère d’avant les antibiotiques) mais plutôt aux hôpitaux blocs apparus avec Beaujon, afin de faciliter les liens entre les services. Des investissements dans les murs mais aussi dans les plateaux techniques.
1991 : naissance de l’AP-HP
En 1991, cette institution devenue gigantesque, composée de plusieurs dizaines d’établissements, confirme son ancrage médical en complétant son nom de Hôpitaux de Paris. La première partie du nom demeure toutefois, symbole de la vocation sociale de l’institution, au-delà du seul exercice de la médecine.
Merci, c’est un article passionnant, jolie revision sur ce parcours des centres hospitaliers.
Cependant il y a une petite erreur, faute de frappe je suppose:
« A la fin de la guerre, la grippe espagnole donne le coup de grâce. 17 000 personnes affaiblies et terrassées par l’épidémie affluent dans les hôpitaux parisiens entre le 25 septembre et le 15 novembre 2018… »
Je pense que c’est 1918 et pas 2018!
Cela n’enlève rien à la qualité de l’article
Bien cordialement
Anny Dulac
Effectivement… merci pour votre vigilance, c’est corrigé !