D’une élection à l’autre, l’abstention de certains quartiers de la région parisienne persiste. Surtout, l’écart se creuse de plus en plus entre leur taux de participation et celui de la moyenne régionale. Dans le détail, les résultats par bureau de vote témoignent du renoncement à voter dans les cités.
Ainsi, Clichy-sous-Bois, qui a connu un taux record d’abstention aux élections européennes du 26 mai 2019, de l’ordre de 76%, se situe en la matière à 26 points au-dessus du taux d’abstention moyen de la région (49,4%) alors qu’elle n’affichait qu’un différentiel de 13 points, soit la moitié moins, en 2004, date à laquelle la commune figurait déjà dans le peloton de tête de l’abstention. D’une élection européenne à l’autre, son écart à la moyenne s’est creusé inexorablement, passant de 13 à 19, 22 puis 26. D’autres communes affichent cette année un taux d’abstention supérieur de 20 points à la moyenne régionale à l’instar de Garges-lès-Gonesse (95), Bobigny (93), Goussainville (95) et Stains (93).
De manière générale, l’écart entre les villes (de plus de 5000 inscrits) qui votent le plus et celles qui votent le moins s’est aussi creusé. En 2014, le plus gros écart entre l’abstention la plus forte et la moyenne était de 22 points. Il était d’à peine 20 points en 2009 et de 14 points en 2004 (chiffres calculés à partir des communes de plus de 5000 inscrits dès 2004). Un écart qui s’est moins creusé dans l’autre sens, celui des meilleurs taux de participation, qui oscille autour de 15 points.
A Clichy, ce bureau dont moins de 14% des inscrits ont franchi la porte
Dans le détail, les votes ne sont bien-sûr pas uniformes par ville, et dans certains quartiers, l’abstention a encore été bien au-delà. Sur 1066 inscrits au bureau de vote n°9 de Clichy-sous-Bois, installé à l’école maternelle Paul Vaillant-Couturier, 822 n’ont pas été voter dimanche 26 mai, soit 86,5%. Epinay-sur-Seine, Montfermeil, Stains, Villepinte, Sevran et Saint-Denis ont également eu des bureaux de vote où l’abstention a dépassé les 80%.
Autour de l’école qui n’a vu passer dimanche dernier que 13,5% du millier d’électeurs attendus, la cité du Chêne pointu, une vaste copropriété qui tient son nom champêtre de l’ancienne forêt de Bondy, fait partie de ces grands ensembles érigés dans les années cinquante, transformant sans transition des villages en cités dortoir. La ville, qui a fait partie des victimes des loupés de l’urbanisation rapide de la banlieue avec des projets jamais terminés comme l’A87 (projet de rocade finalement remplacé par l’A86) fait l’objet d’une succession d’opérations de rénovation urbaine depuis le début des années 2000, qui se poursuit aujourd’hui dans le cadre de l’Anru 2 au niveau du bas Clichy -dont la cité du chêne vert. Le désenclavement est par ailleurs en cours avec le tramway T4 Bondy-Montfermeil en plein travaux et la future station Clichy Montfermeil de la ligne 16 du Grand Paris Express (Noisy-Champs – Saint-Denis), attendue, elle, à l’horizon 2030. Une transformation de fond qui prend du temps. En attendant, difficile de qualifier l’ambiance de riante au pied de la Cité du Chêne pointu. Ce vendredi, la principale animation semble être le rodéo moto coursé par une voiture de police. Parmi les quelques habitants qui ont envie d’engager la conversation, peu ont été aux urnes, les autres se désolent de l’abstention.
«Je n’étais pas là et j’ai zappé complètement. C’était un petit peu flou comment on doit voter, pour qui on doit voter, la liste machin… C’était trop compliqué. Et puis, il n’y a pas de deuxième tour, c’est choquant!» se défend Mohamed, assistant d’éducation. L’Europe, pourtant, signifie quelque chose pour lui. «On a de la famille en Belgique, en Suisse, mon frère a la nationalité belge, j’ai un cousin qui a la nationalité allemande… Je suis d’origine marocaine mais je vis en France depuis les années 1990 et l’Europe, je suis pour. Ce serait bien aussi que les gens viennent nous voir pour parler de leur programme. Il n’y a pas de réunion publique comme par exemple une soirée où l’on pourrait boire un coup tout en écoutant les discours de chacun… Qu’au moins, les gens nous disent leur programme et ce qu’ils vont faire.» Sur les 34 listes qui se sont présentées ce dimanche, pas sûr en effet que beaucoup aient même seulement pris la peine d’apposer une affiche sur les panneaux à disposition.
«Je ne suis pas allée voter, je m’en fiche un peu, admet une vendeuse de la boulangerie, tout sourire. J’ai l’impression que c’est chacun pour soi. La plupart des clients ici me disent qu’ils ne votent pas. Ici la politique n’a pas d’impact, ils ne s’intéressent pas à la politique. Personne n’a voté dans ma famille.»
Essaid, retraité, aurait bien voté mais il n’a pas la nationalité française. «Ici, ils ont tous la nationalité française mais personne ne vote. Ils s’en fichent les gens maintenant. J’ai dix enfants qui sont ici et ont tous la double nationalité, mais ils ne votent pas, ce-sont des Français de papier, pas de coeur», regrette le vieil homme à la barbe blanche. Mohamed, ancien ouvrier devenu cadre chez Air France, sert de contre-exemple. «Aux municipales, aux présidentielles, aux Européennes, j’ai toujours voté! Dimanche, j’ai été voter en essayant de donner l’impulsion à mes enfants pour y aller et ma fille a été voter, mais pas mes deux garçons. Pour eux, la priorité c’est la France, pas les Européennes, ce n’est pas leur quotidien.» Retraitée de l’Education nationale, Annick aussi a été voter, pour l’Europe et contre l’extrême droite. «Ça sert toujours de voter ! Pour moi le vote devrait être obligatoire. Mais il faut aussi bien informer les gens, et non pas les désinformer, et puis retrouver du lien social.»
Pour qui ont voté les 222 électeurs du bureau n° 9 ? Ils ont placé LREM en tête, à 22%, suivi de la LFI à 17% et du RN à 16%. Dans cette ville socialiste, les habitants du quartier ont accordé près de 10% à PS-Place publique et surtout 13% à Génération-S. EELV, en revanche, n’a conquis que 6% des votants et LR n’a même pas atteint 1%. Des résultats différents de ceux de la ville entière qui a placé le RN en tête à près de 23% suivi de LREM à 16%, LFI à 13%, le PS-PP à 7,5%, Génération-S à 6% et LR à 4%.
La carte des cités est celle de l’abstention
De la Seine-Saint-Denis aux Yvelines en passant par le Val-de-Marne ou l’Essonne, la carte des cités se retrouve presqu’intégralement dans les points marrons de la carte ci-dessous, correspondant aux bureaux de vote où l’abstention a été la plus forte.
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