Pêche ou Racine: demandez les monnaies locales en Ile-de-France

Photo © Mathis Fleuret

Privilégier la consommation en circuit court, tel est l’enjeu des monnaies locales. En Île de France, deux d’entre elles cohabitent : la racine, dans la Vallée de Chevreuse et la pêche, étendue à Paris et sa petite couronne. Des jolis billets qui doivent désormais passer le cap du b to b pour que les commerces s’y mettent plus massivement.

Concrètement, les monnaies locales ont la même valeur que l’euro mais elles ne peuvent pas être mises en banque et servir à la spéculation. L’objectif est que la monnaie circule sans cesse entre les mains des clients, des commerces et de leurs fournisseurs en favorisant le commerce local.

Pour Brigitte Abel, co-présidente de La Pêche, il est impossible de boire un café sans sortir ses billets alternatifs. Créée en 2014, cette monnaie compte aujourd’hui 1 500 adhérents. «Ce n’est pas énorme, concède-t-elle. Mais nous avons un gros potentiel de développement.» Pêchue  depuis près de deux ans, Dominique, convertit ses euros contre des Pêches toutes les six semaines. «Cela fait un peu Monopoly et interroge les autres clients qui regardent parfois cette monnaie comme des faux billets. C’est l’occasion de discussions», témoigne cette habitante de Bagnolet, office manager de profession, tout en reconnaissant avoir aussi trouvé cette pratique un peu bizarre la première fois qu’elle en a entendu parler. «Payer en monnaie locale implique aussi de changer ses habitudes pour trouver des commerçants qui les acceptent. Cela demande un effort», reprend Dominique. À Montreuil (Seine-Saint-Denis), payer en monnaie locale est devenu un geste courant. Dans la ville, une petite cinquantaine de commerces acceptent le fruit et déjà une trentaine à Paris.

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“C’est quoi cette connerie?”

Dans la Vallée de Chevreuse, La Racine fête ses huit mois d’existence et compte près de 500 adhérents. Sébastien Cattaneo, co-président de l’association, souhaite poursuivre sur cette lancée : «On est sur la phase de lancement et avons atteint un premier pic avec les militants. Après, l’enjeu est de pérenniser et de faire boule de neige. Mais cela ne peut pas se faire en deux mois, indique le cofondateur. Certains commerces de bouches m’ont d’abord dit “C’est quoi cette connerie?” lorsque j’ai exposé le projet.» Dans son épicerie des Molières (Essonne), Thibault Fasseur accueille tous les jours des clients qui le payent en euro et en racines. Au point que cet adhérent de la première heure perçoit aujourd’hui 12% de son chiffre d’affaires en monnaie locale. Malgré ce bon bilan, il confie avoir avoir du mal à convertir les autres commerçants des Molières. Au-delà de ses convictions sur les bienfaits du circuit court, Thibault voit aussi les retombées sur son commerce. «Quand j’essaye de faire entrer d’autres professionnels, c’est un petit peu : je viens chez toi donc tu viens chez moi, lance le commerçant. Quand je dépense chez quelqu’un en racines, je me dis que potentiellement c’est de l’argent que je peux voir revenir.» Dans ce territoire rural, l’objectif affiché par la monnaie locale est de redonner vie aux centres villes grâce aux petits commerces afin de retrouver du lien social. «Les gens qui sont devenus adhérents, c’est comme si ça avait gommé la barrière client-commerçant», observe Thibault.

Tant que le B to B  ne s’y met pas : la monnaie s’accumule chez le commerçant

Pour ses fournitures de bureau, le commerçant des Molières dépense ses racines à Bureau Vallée chez William Tang. Ce dernier aussi voulait faire vivre le commerce au niveau local, même s’il pensait au départ que «créer une nouvelle monnaie était interdit.» Mais trouver un fournisseur qui accepte ces billets, près de chez soi, n’est pas une mince affaire. Et pour certains commerçants, c’est un frein à l’adhésion, à l’instar de Bruno, boulanger aux Molières.  «En local, il n’y a qu’un meunier. Je ne vais pas être obligé de prendre qu’une seule farine pour faire un certain pain, uniquement pour faire du local», se refuse-t-il. À Montreuil, Adrien, co-gérant de la FabU, voit de plus en plus de pêches dans ses caisses mais n’arrive pas à les re-dépenser. Il est obligé de les reverser en euros, ce qui lui coûte 3% de frais de change. «C’est tellement local que les monnaies ne sont pour l’instant utilisés que par des utilisateurs finaux, pas les circuits intermédiaires et le B To B. C’est difficile de se refourguer nos pêches entre nous. On n’a pas encore assez de prestataires en Île de France», déplore le commerçant. Le co-gérant, fervent défenseur du circuit court, assure pour autant qu’il ne souhaite pas abandonner la monnaie locale. Brigitte Abel, elle, voit le verre à moitié plein : «Même si l’on n’arrive pas encore au cercle vertueux souhaité, cela nous permet de faire de la pédagogie et d’apprendre aux gens à utiliser une autre monnaie.»

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Quel impact en Ile de France

Pour l’heure, l’impact des monnaies locales dans l’ensemble des échanges monétaires franciliens reste très marginal mais  200 000 pêches ont déjà été injectées dans le circuit depuis 2014 ainsi que 25 000 racines depuis quelques mois.  Aujourd’hui, ces deux monnaies se partagent le territoire francilien et ne veulent pas se marcher sur les pieds. La Racine souhaite occuper l’espace entre Versailles au Nord, Rambouillet à l’Ouest, Dourdan au Sud et Palaiseau à l’Est. Du côté de La Pêche, on ne se fixe pas d’objectif mais on propose une solution clef en main pour toute l’Île de France. «On peut aller partout dans la région, du moment qu’il y a un groupe local», assure Brigitte Abel. D’ores et déjà, Paris et d’autres communes ont franchi le pas, surtout en Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne. «Dans le Val-d’Oise, il y a des copains qui veulent lancer La Pêche. Ils ont déjà un groupe de 40 personnes dont une dizaine de bénévoles», cite la co-présidente.  

Comment ça marche ?

Pour payer en monnaie locale, il faut adhérer à l’association moyennant une cotisation, les échanges monétaires s’effectuent ensuite dans des comptoirs de change, à savoir des commerces partenaires. Les euros échangés contre les monnaies locales sont épargnés par les associations sur un fonds de garantie placé à la Nef, une coopérative financière. De quoi assurer de rembourser les ex-utilisateur  à l’euro près. A condition bien-sûr qu’un faux monnayeur ne s’invite pas dans la boucle! «Nous utilisons du vrai papier bancaire filigrammé avec des marques de contrefaçons», précise sur ce point Sébastien Cattaneo. En contrepartie, la Nef s’engage à financer des projets correspondant aux valeurs des monnaies locales sur leur territoire à hauteur de deux fois le montant du fonds de garantie. 

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